CETTE HISTOIRE SE PASSA A CUBA, PLUS PRECISEMENT DANS LA VILLE DE MATANZAS, EN 1860.

Les " DONGALADA ", grande famille riche espagnole, étaient les propriétaires d'une plantation de canne à sucre à Matanzas, ville se situant non loin de la HAVANE, capitale de CUBA. Ils étaient en tous quatre dans la famille ; trois enfants et Monsieur DONGALADA : Clarisse la cadette, Laurent, et l'aîné Antonio. Clarisse et lui ne s'entendaient vraiment pas. Antonio avait le même caractère et la même autorité que leur père et c'est ce qui expliquait les différents qu'il y avait entre eux. Clarisse considérait son père comme un tyran, mais contrairement à Laurent, elle lui tenait tête.

Leur famille était respectée de tous, car elle faisait partie des plus grandes de Cuba, et un jour, Franchis, un jeune homme de bonne famille, n'habitant qu'à quelques mètres de chez eux, vint frapper à la porte. Il portait une chemise en flanelle, blanche, et lorsque Clarisse( chargée de réceptionner toutes les personnes qui se présentaient) le vit, elle le trouva très chic vêtu de cette manière.
Leur père désirait ardemment les marier, et évidemment, Franchis n'était absolument pas contre cette idée. Aujourd'hui il s'apprêtait à lui faire sa demande :

- Bonjour Clarisse ! Comment allez-vous ?
- Très bien, merci. Que nous vaut l'honneur de votre visite ?
- Et bien je... je me demandais si... j'aimerais que vous... fassiez part de ma visite à votre Père.

Clarisse acquiesça et le fit entrer dans le salon immense, tapissé de portraits de famille.
Franchis se sentait complètement idiot, cela faisait déjà la deuxième fois qu'il se décourageait au dernier moment, et cette fois-ci il savait que son père ne se contenterait pas de lui faire la morale.
De son côté, Clarisse souriait ; elle n'était pas dupe et savait très bien quelles étaient les intentions de Franchis en venant ici ; elle était absolument contre l'idée d'épouser un garçon dans son genre ; il était beaucoup trop antipathique et sérieux à son goût.

- Père ? Excusez-moi, Franchis désire vous voir.
- Ah ! Il s'est enfin décidé ?
- Non.
- Oh ! ... fit son père en poussant un long soupir. Amène-le -moi ici.

Lorsqu'elle arriva dans le salon elle reconnut difficilement Franchis tellement son visage était décomposé par la peur.


- Franchis ? Que vous arrive t-il ?
- Clarisse. Je ne peux pas continuer de vivre comme si de rien n'était. Entre moi et vous il se passe quelque chose, quelque chose de très fort. Clarisse...
- N'en dîtes pas plus, s'il vous plaît. Ecoutez Franchis, je sais ce que vous allez me demander, et je suis réellement désolée de refuser votre demande.
- Mais, comment... comment savez-vous ? Et, et puis pourquoi répondre aujourd'hui ! Ne vous bousculez pas, prenez bien le temps de réfléchir, je suis sûr que vous ne pensiez pas ce que vous m'avez dit à l'instant.
- Franchis ! Je suis bien décidée, ma réponse est non, et je ne reviendrai pas dessus ! Encore une fois je suis désolée, dit-elle sentant le feu monter à ses joues.
- Ne suis-je pas riche et beau ? On sera heureux tous les deux plus tard ! Moi je resterai dans mon petit bureau et vous, vous vous occuperez de préparer le souper, et puis non, nous achèterons des bonnes, des esclaves, donnez leur le nom qui vous plaira. Et...
- Attendez une minute ! Pour qui me prenez-vous ? Non c'est non d'accord ? Ne me forcez pas à m'énerver, car vous pourriez le regretter ! Sachez que je ne suis pas le genre de fille qui se marie avec le premier petit riche qui se présente ! Vous n'êtes seulement qu'un petit fils à papa pour moi ! Comment avez-vous pu croire que nous deux ça aurait marché ? Encore si vous étiez moins râleur, moins exigent, moins idiot, et si vos idées étaient basées sur autre chose que l'argent, peut-être, j'ai bien dit, peut-être que je vous trouverai sympathique. Et puis, comment pouvez-vous être aussi insensible au sort que subissent les esclaves ? Vraiment vous me dégouttez !

Clarisse était rouge de colère. Tout ce qu'elle avait dit en quelques secondes à Franchis était ce qu'elle avait pendant des années voulut dire à son père et à son frère Antonio. Après ce discours elle se sentit un peu honteuse, car Franchis n'aurait pas du subir toutes ces paroles affligeantes.
Franchis se tenait devant elle, les joues en feu, les mains et les pieds tremblant ne sachant que dire.

- Franchis, pardonnez-moi, je me suis un petit peu trop emportée, je vous en prie, excusez-moi.

Franchis lui lança un regard empli de haine et sortit de leur ferme, complètement coléreux.
Antonio qui avait suivi toute la scène partit avertir leur père, et à peine quelques minutes plus tard quelqu'un frappa à la porte. Clarisse alla ouvrir sans grande conviction, car elle savait que Franchis était allé pleurer dans les bras de son père, et que celui-ci était justement la personne qui se trouvait derrière la porte. Il allait sûrement se plaindre du comportement de Clarisse vis-à-vis de son fils, auprès de Monsieur DONGALADA.
Lorsqu'elle ouvrit la porte elle fut surprise de voir une grande silhouette élancée au lieu d'un petit corps tout flasque. L'homme qui lui adressa le bonjour était un homme de couleur dont les yeux trahissaient la peur. Malgré celle-ci, il faisait un grand sourire à Clarisse, faisant apparaître deux longues rangées de dents bien blanches.

- Bonjour, répondit Clarisse en lui rendant son sourire. Que puis-je pour vous ?
- Je désirerais parler à Monsieur, s'il vous plaît.
- Euh... , fit Clarisse en cachant mal son embarras, vous avez dû vous tromper de demeure, ici vous êtes chez Monsieur DONGALADA.
- Oui, c'est exactement ici qu'on m'a dit de venir.
- Pardonnez ma curiosité mais qui désignez-vous par ce " on " ?
Avant même que ce jeune homme, fort séduisant, puisse répondre à Clarisse, Monsieur DONGALADA arriva brusquement et poussa sa fille sur le côté.
- HOMKI je suppose ?
- Oui, Monsieur c'est bien …
- T'es en retard ! Il tira violemment cet homme par la manche et l'expulsa dans la cuisine. Va, et fais ce que tu as à faire, un mot se trouve sur la table. Tu lis hein ? On ne m'a pas menti ?
- Oui Monsieur, je sais lire, non on ne vous a pas menti.
- Allez, qu'est ce t'attend ?

Monsieur DONGALADA ferma la porte de la cuisine et alla vers Clarisse.


- Qu'est-ce t'as fais ? Occupe -toi de tes affaires d'accord ? Je ne te demande pas de questionner ET d'envoyer balader toutes les personnes qui viennent compris ?

Les yeux embués de larmes, Clarisse lui tourna le dos et s'apprêta à partir quand …

- Clarisse ! Tu me réponds quand je te parle et ne me tourne pas le dos avant que j'aie fini ma phrase !

Clarisse, toujours s'empêchant de pleurer, se retourna, le regarda froidement dans les yeux puis monta les marches menant à sa chambre, unes à unes.

- Clarisse ! ! ! ! ! !


La grande horloge de l'arrière- grand-père de Monsieur DONGALADA sonna six coups. Clarisse était allongée sur son lit, pensive, les joues ruisselantes de larmes. Quelqu'un frappa trois coups à la porte. Avant même qu'elle ait eu le temps de répondre, une petite silhouette pénétra dans cette pièce immense, sombre, respirant la tristesse. Aucun tableau ne tapissait le mur, aucune couche de poussière sur les livres et cahiers, juste une poupée sur un lit aussi majestueux que la chambre.

- Clarisse tu dors ? demanda une petite voix toute tremblante.
- Non mon ange, viens t'asseoir près de moi.

Laurent se précipita tout contre elle, les yeux gonflés et rougis.

- Qu'est-ce qui t'arrive mon petit bout ?
- Ne m'appelle pas comme cela, je suis plus âgé que toi, tu sais c'est gênant pour moi !
- Mais il n'y a que toi et moi !
- Tu sais, les murs ont des oreilles ici, chuchota -t -il.
- Pourquoi es-tu dans cet état ?
- C'est Antonio, je l'ai vu traiter méchamment l'homme noir alors je lui ai donné mon avis sur cet acte, tu me connais, et il n'a pas apprécié.


- Oh ! qu'il m'énerve ! Je vais lui dire moi aussi ce que je pense sur sa façon de se conduire avec les autres il va voir !
- Non ! S'il te plaît ne fais rien, quoi que nous disions, quoi que nous fassions, nous serons toujours puni soit par Père, soit par Antonio lui-même ! Allez viens, il est l'heure de souper. Si nous arrivons en retard, nous risquons de nous faire tirer les oreilles jusqu'à ce qu'elles saignent !
- Quoi ? On t'a déjà fais cela ?
- Non, mais l'un ou l'autre en serait bien capable.


- Et bien Clarisse, pourquoi ne manges-tu pas ? Ce qu'a servi l'autre ne te convient donc pas, fit Antonio un sourire narquois au coin de la bouche.
- Pourquoi l'appelez -vous comme cela ?
- Tout simplement, ma très chère sœur parce que Père et moi avons décidé de le nommer ainsi.
- Mais pourquoi ?
- Clarisse ! fit Monsieur DONGALADA, arrête d'embêter ton frère aîné avec tes questions stupides !
- Bien, j'ai compris. Puis-je sortir de table ? PERE ?
- Non.

Sans même le regarder, Clarisse tira sa chaise, plia délicatement sa serviette et partit, malgré l'interdiction absolue de son père et d'Antonio.

- Clarisse ! fit Antonio, fais ce que te dicte Père !


Elle le regarda droit dans les yeux et lui lança une réponse négative. Antonio perplexe lança un regard suppliant à son père.

- Cela ne fait rien, fit-il, un jour ou l'autre, elle me sera soumise.

Pendant ce temps Clarisse était accroupit devant une pierre tombale, versant toutes les larmes de son corps. Cet endroit était son " chez soi ", et dès qu'elle ne se sentait pas bien elle se réfugiait ici.
Dehors il faisait froid, la nuit était claire et le hibou perché sur les branches du grand saule ne cessait d'hululer.
Clarisse s'était endormie, et sursauta lorsqu'elle entendit craquer derrière elle une branche d'arbre, morte.

- Tenez demoiselle Clarisse, c'est pour vous.
- Oh ! merci, c'est gentil, je meurs de faim. Quel est votre nom ?
- HOMKI GAYA.
- C'est Laurent qui vous a dit que j'étais là ?
- Oui, et il me demande que vous l'excusiez, votre père n'a pas voulu qu'il vienne vous voir. Moi non plus d'ailleurs, enfin je pense, alors j'ai attendu qu'il aille se coucher pour vous apporter ceci.
- Mais, quelle heure est-il ?
- Il doit être 24H00 par là. Vous êtes restée assez longtemps dehors, vous devriez rentrer ! Vous grelottez, tenez ma veste.
- Oh ! merci Gaya, vous êtes adorable. L'expression du visage de Clarisse changea soudainement. Comment peuvent-ils vous traiter comme cela ? Vous êtes un être humain ! Je vais essayer de changer leur comportement, cela doit être insupportable pour vous.
- Oh ! demoiselle, c'est triste à dire mais j'y suis habitué. Ne faites rien auprès de votre père et d'Antonio, je ne tiens pas à ce que l'on vous punisse par ma faute.
Gaya jeta un regard sur la pierre tombale.
- Elle vous manque ?
- Laurent vous a aussi parlé de cela ?
- Oh oui ! il est très bavard ce jeune homme !
- Elle me manque énormément. Si seulement tout pouvait être différent ! J'aurais tellement aimé la connaître.
- Je comprends, ma mère aussi est morte en me donnant la vie.
- Merci pour tout Gaya, vous avez raison je vais rentrer.
- De rien, ce fut un plaisir.

Sur ces paroles, tous deux partirent se coucher, satisfaits de leur petite discussion.

Clarisse se réveilla à l'aube ; elle remarqua soudain qu'elle n'avait fait que rêver de Gaya toute la nuit, il était si gentil. Elle décida de descendre à la cuisine pour aider Gaya, discrètement, à préparer le petit déjeuner, mais à sa plus grande surprise, il était déjà posé sur la table et il n'y avait pas de Gaya.

- Gaya ? Gaya ?
- Que fais-tu ? lui demanda Antonio méchamment.
- Tu es déjà levé ? intérieurement elle bouillonnait de rage que son frère se soit levé aux aurores.
- Que fais-tu ? insista Antonio.
- Je cherche Gaya !
- Qui est-ce ?
- L'homme particulièrement aimable qui a préparé ce petit déjeuner !
- Ah ! l'autre ? Tu l'appelles par son prénom maintenant ? Ce comportement déplairait
- beaucoup à Père tu sais ? J'imagine sa tête quand je vais lui dire que mademoiselle sympathise avec l'esclave !
- Gaya est un être humain, alors il doit être traité comme tel !
- Ah la la, tu es si naïve ! Enfin, Franchis vient souper ce soir, t'essayeras de te faire belle ! Il est bien ce garçon n'est ce pas ?
- Je sais ! Il est riche, intelligent et beau ! C'est cela que tu allais me dire ? Je ne l'aime pas ! Je ne me marierais donc jamais avec lui tu entends ?
- C'est là que tu te trompes ! Ton avis n'intéresse personne petite sœur !

Sur ce elle sortit en courant et alla " chez elle ".

- Maman, aide-moi, emmène moi loin de cette île de malheur ! Je n'en peux plus ! Je ne supporte plus Père, ni Antonio, ni la politique de ce sale pays !


Elle voulait partir loin de ces hommes, si on peut les appeler ainsi, riches qui ne pensaient qu'à faire régner leur pouvoir, et qui traitaient les femmes et certains hommes comme des bêtes ! Un jour, elle en était persuadée, elle quitterait cet enfer pour toujours avec Laurent, par la mer, sa seule issue de secours.

- Maman je veux mourir, te rejoindre ! Comment as-tu pu vivre et concevoir des enfants avec un homme comme ça ?

Et elle pleurait, encore et toujours, ses larmes n'en finissaient plus de couler. Gaya arriva par derrière.

- Allons jeune fille, reprenez-vous ! Tenez, un mouchoir.
- Si vous saviez comme j'ai honte ! Je suis là à me lamenter sur ma vie, et vous, l'esclave, vous êtes là à essayer de me remonter le moral. Ne croyez-vous pas que ceci devrait être l'inverse ? Moi je vis comme une princesse, mon père est très riche, et vous vous vivez dans la pauvreté, dans la misère, dans l'injustice, et dans la corruption !
- Moi, pour ne plus penser à cette vie, je me mets dans la peau de ces hommes bien gras qui fument de gros cigares toute la journée et qui, la nuit font la fête dans des bars où l'érotisme est à son plus haut point, si vous voyez ce que je veux dire.
- Si vous étiez affranchis, vous ne quitteriez pas CUBA ?
- Oh non ! Quitter cette île voudrait dire quitter son exotisme, ses parfums, sa mer ! Non, jamais ! Je suis le seul de ma famille à avoir pu sortir de l'AFRIQUE, quand je mourrais ce sera sur une île paradisiaque et non sur une terre pauvre, déserte. Qu'en pensez-vous ?
- C'est vrai que cette île est magnifique, mais elle est aussi impure ! Je suis sûre que dans quelques années CUBA sera une île parfaite, un lieu de vacances ou toutes les personnes du monde viendront pour faire la fête ! L'esclavage sera aboli. Qu'en pensez-vous ? lui demanda t-elle, souriante.
- Si vous le dîtes, c'est que cela doit être vrai !

Elle le regarda droit dans les yeux, ces yeux noirs, profonds, laissant apparaître une impressionnante douleur, et le serra très fort dans ses bras si forts, si tranquillisants.

- Encore merci Gaya, cela faisait une éternité que je ne m'étais pas sentie aussi bien. Je vais vous laisser, j'ai un tas de choses à terminer. Surtout ne forcez pas trop sur le travail d'accord ? lui dit-elle souriante avec un petit clin d'œil.
- Mais je ne suis pas là pour travailler moi ! N'importe quoi jeune fille !

Tous deux se regardèrent dans le blanc des yeux et se mirent à rire aux éclats en toute complicité.
Gaya regarda la jeune fille courir en direction de la ferme et il se dit qu'elle était celle qu'il avait toujours rêvée de rencontrer.
L'heure du déjeuner se passa très bien, on ne parla pas de la venue de Franchis le soir, donc Clarisse se sentait à peu près bien. Elle et Gaya ne se virent pas de la journée, et cette absence se fit sentir dans chacun des deux cœurs.
Clarisse appréhendait énormément l'heure du souper, elle entendait déjà dans sa tête les six coups de la très vieille et très grande horloge. Ca y'est, les six coups résonnèrent dans toute la maison.


Clarisse apparut dans le salon, parée des bijoux de sa mère et d'une robe longue blanche, magnifique. Son père l'avait obligé à se vêtir de cette façon, et Clarisse était sur les nerfs, une mauvaise parole de son père ou d'Antonio ou de Franchis et elle allait dire leurs quatre vérités à l'un d'eux ou s'il le faut aux trois.
Quand Franchis la vit, il eut le souffle coupé, il avait déjà oublié ce qui c'était passé un jour auparavant.

Le repas se passait assez bien jusqu'au moment où leur père se leva pour prendre la parole.

- Ecoutez-moi tous les enfants, la semaine prochaine, nous célébrerons l'union de Franchis et de Clarisse !

A cette annonce tout le monde applaudit sauf Laurent et bien entendu Clarisse, qui crut défaillir.

- Jamais dit-elle en fixant son père ! Personne n'a le droit de décider de ma vie que je sache ! Vous n'êtes qu'une bande de sales égoïstes ! Je vous hais ! Jamais je ne me marierai à cette espèce d'homme !

Son père ne dit rien, ne fit rien, Clarisse se leva et partit dans l'antre de Gaya, c'est-à-dire, l'étable.

Elle avait besoin de le voir, de lui parler. Lui, qui avait suivi toute la scène, caché derrière la porte, fila discrètement par la porte de derrière. Il alla " chez elle ", près de la tombe de sa mère, puis voyant qu'elle n'y était pas il pensa à aller dans l'étable, son dortoir. Et là, il la trouva très calme sur le sol. Dès que Clarisse le vit, elle se leva et se jeta dans ses bras ; suite à cela, Gaya l'embrassa et là plus rien n'existait pour eux. Ils entendaient juste leur cœur qui battait la chamade. Tous deux ne savaient pas si ce qu'il y avait entre eux était de l'amour ou juste une immense complicité. Ils restèrent un certain moment, enlacés comme cela, l'un contre l'autre, alors qu'au loin Franchis les observait d'un mauvais œil.

Il était huit heures quand Clarisse décida de se lever de son lit. Elle ne désirait qu'une chose, être avec Gaya. Ils restèrent discrètement ensemble une grande partie de la journée, et ils discutèrent de tout et de rien, et d'eux, de ce qu'ils allaient devenir plus tard. L'horloge gronda, c'était l'heure de souper. A table, personne ne parlait, tout le monde mangeait tranquillement. Clarisse était contente de ce changement soudain d 'attitude de la part de son père et d'Antonio, mais au fond d'elle-même quelque chose la dérangeait, un poids dans le ventre, une sensation qui l'empêchait de respirer tranquillement. Pour la première fois depuis très longtemps elle attendit que tout le monde eut fini de manger pour sortir de table. Après ce bon repas, elle attendit Gaya dans l'étable, qui était en train de tout nettoyer, y compris les vêtements.
Dès qu'elle l'aperçut à l'entrebâillement de la porte elle se jeta dans ses bras et ils s'embrassèrent durant de longues minutes. Ils avaient décidé de se souhaiter bonne nuit tous les soirs, bonjour tous les matins, bon appétit tous les midis, bref, ils voulaient se voir 24H sur 24H mais tous deux savaient très bien que cela leur était impossible.

Le lendemain matin, quand Clarisse se réveilla, elle se sentit toute bizarre. Elle avait ce même poids dans le ventre qu'hier soir à table, il était même un peu plus douloureux. Elle descendit comme à l'accoutumée et vit que le petit déjeuner n'était pas dressé sur la table. Elle
fut prise d'une soudaine panique et alla dehors, et là elle crut que la terre s'effondrait tout autour d'elle. Elle vit son père, Antonio qui se tenaient debout devant un monticule de terre et à cette vue, elle fut certaine de ce qui se passait.

Son père se retourna, la regarda bizarrement puis articula.

- Antonio t'avait bien dit de ne pas traîner avec l'autre non ? Regarde ce que tu lui as fait ! Il s'attachait trop à toi, il en souffrait, tu sais, de "cet amour ", alors ton frère et moi avons décidé d'atténuer ses souffrances en le tuant.
- Bonne décision tu ne trouves pas ? dit sadiquement Antonio.

Clarisse regarda encore une fois ce petit monticule et deux larmes perlèrent sur ses joues. Puis elle partit loin, elle courut dans les plantations de cannes à sucres sans s'arrêter en repensant à tous les moments très courts qu'elle avait passé en compagnie de Gaya, à toutes ses paroles, à ses baisers… Elle voulait en finir avec la vie, pourquoi, pourquoi ? C'était tellement injuste ! Ils venaient de tuer l'homme le plus gentil de cette terre, le seul qui avait réchauffé son petit cœur en manque d'amour. Maintenant, elle ne savait pas ce qu'elle allait devenir, elle ne pensait qu'à une chose, Gaya.
Elle rentra chez elle une semaine après et dès lors elle fut condamnée à se marier avec Franchis. Elle ne s'y opposa pas, elle ne dit rien, juste subit. Laurent était bouleversé de la voir dans cet état, alors lui aussi ne souriait plus, lui aussi ne se nourrissait plus, et lui aussi, ne souhaitait qu'une chose, mourir…

Clarisse avait raison lorsqu'elle avait dit à Gaya que plus tard l'esclavage serait aboli et que CUBA deviendrait un lieu de vacances et une île où le métissage bat son plein.
L'esclavage en AMERIQUE fut aboli en 1880, soit 20 après la mort de Gaya, qui resta à jamais dans le cœur de Clarisse.

Ce texte est l'oeuvre de Mélanie, une amie de Toulouse. Un grand merci à elle

RETOUR